Ce qui semble être, n'est pas si évident
Dernière mise à jour : 9 déc. 2020
Je suis enseignant de yoga.
Donc je me suis investi d'une mission, celle de transmettre un enseignement, que j'ai moi même reçu. Cet enseignement se base sur une tradition millénaire, avec des règles, des croyances, des textes, une approche holistique. Parce que cette pratique est orientale et en plus indienne, elle est empreinte d'un certain exotisme, esotérisme.
Nous avons tous une ou des idées de ce qu'est le yoga et par conséquent, à quoi doit ou devrait ressembler un professeur de yoga.
Ces stéréotypes partagés plus ou moins dans notre société, diffusés par les médias, peuvent être tenaces, à tel point qu'il puisse être difficile, voire risqué d'essayer de s'en défaire. Un prof de yoga doit être calme, posé, en forme physique et mentale.
C'est le témoignage de l'une de mes collègues, enseignante de yoga, qui m'a interpellé.
Elle me confiait qu'elle souhaitait presque arrêter de donner des cours, car elle se sentait fatiguée parce que trop enfermée dans ces stéréotypes. Elle ne sentait pas dans la liberté de se montrer telle qu'elle était parfois; fatiguée et/ou avec une douleur physique limitante et/ou avec un "petit" moral...
A l'époque, cet échange avec elle m'avait amené à m'auto-observer : quelle est l'image que je donne à voir de moi ? Pourrai-je le cas-échéant me montrer dans un moment où je serai limité physiquement et/ou je n'aurai pas le moral ?
Depuis mars 2020, nos sociétés, nos vies ont été perturbées, voire ébranlées par l'épidémie de Covid. Les mesures "sanitaires" ont contraint les professeurs de yoga et leurs élèves à poursuivre leurs pratiques au travers le média Internet, dématérialisant cette pratique. Bien que nous nous soyons tous rendu compte qu'en définitive qu'elle ne pouvait pas vraiment être dématérialisée, car dépourvue d'une dimension sensible, humaine et de partage. Quoi qu'il en soit, cet état de fait a fait fleurir une multitude (c'est peu dire) de publications Facebook, Instagram et j'en passe.
Autant de professeurs de yoga se mettant en scène, en photo ou vidéo, pour nous montrer tout ce dont ils sont capables de faire. Faire des postures toutes plus impressionnantes les unes des autres, se rapprochant bien plus du gymnaste et/ou du danseur et/ou de l'hyperlaxe, que du pratiquant lambda.
Ils font ! Ils montrent ! Ils démontrent ! Ils exposent leurs images, leurs supposés savoir-faire, ce qui relève bien plus de l'expression de soi Egotique que de transmission d'un savoir. D'autant qu'ainsi ils participent grandement à faire croire que le yoga est uniquement une pratique physique.
Autant de propositions de pratique de yoga en tout genre que de pratique de méditation, dans lesquelles l'image du corps sain, en bonne santé, synonyme, au vues de ces images, d'un corps svelte, morphologie bien connue car tellement diffusée dans nos médias, affublé par un état d'esprit qui se doit d'être non seulement calme, serein, "bienveillant, positif, ouvert,...", que nous serions censés atteindre au travers ces "méditations" (qui sont bien souvent) qui s'apparentent plus à de la relaxation.
En fait, tout ceci me donne l'impression de transformer le prof de yoga en sur-homme, de diffusant ainsi une fausse image du prof ; un être humain en tout temps, toutes circonstances en bonne forme physique et psychique, sans jugements, sans débordements, égarements.. En fait le prof de yoga n'est reste pas moins un humain qui s'est engagé sur un chemin de conscience, un marcheur, un chercheur, qui plus il avance plus il apprend, plus il sait, plus il voit, comprend qu'il sait si peu.
Je ne suis pas un professeur de yoga mais un enseignement, car je ne suis pas un sachant comme le prof mais un enseignement qui diffuse, s'appuyant sur deux choses ; le savoir que l'on m'a transmise à mon école de yoga et mon savoir-être, ce que j'ai expérimenté par moi-même dans ma propre pratique.
Je suis un enseignant de yoga qui chemine dans la Vie, touché par ses fluctuations, dont celles engendrées par le Covid.
Mes activités d'enseignant de yoga et celles en tant que thérapeute ont été fortement impactées, très bouleversées. Ces activités sont intimement liées à ce que je suis donc, j'ai aussi été très touché dans ce que je suis.
J'en ai pris toute la mesure quand, en quelques jours, j'ai eu des douleurs de plus en plus handicapantes dans la jambe droite et dans le bassin. Evidemment, au début, j'ai pensé que j'avais fait un mauvais mouvement et que cela était un dysfonctionnement physique. Ma gêne était telle qu'au fur et à mesure des jours passants, j'étais de plus en plus diminué dans ma séance matinale quotidienne, jusqu'à devoir ne plus pouvoir la faire. Voilà plus de 10 ans (j'ai arrêté de compter) que je pratique le yoga quotidiennement, quasiment sans discontinuer, alors imaginez ma surprise. En 2 semaines, j'ai fait 2 séances d'ostéopathies, soulageantes mais pas suffisantes.
Mon corps, m'interdisant de pratiquer personnellement et presque pendant nos séances par zoom, voulaient me dire quelque chose à l'évidence.
"Arrêtes de bouger, d'agir, poses toi un instant, pour regarder au fond de toi, il y a quelque chose qui se passe".
Alors, j'ai remplacé ma pratique de postures et de méditation matinale par une pratique "canapé" ; je me pose dans mon canapé sans lumière artificielle et je me pose là en écoutant en moi avec ces questions ; qu'est ce qui m'arrive ? qu'est ce qui ne va pas, qui n'est pas vu, entendu ? Ceci sans volontarisme de trouver des réponses. Je pose ces questions et puis, je les laisse flotter en moi.
Des réponses ont émergé au fil de mes temps de "canapé" et c'est ainsi que j'ai compris que cette crise Covid venant fortement impacter mes activités professionnelles, qui ne sont que le prolongement de ma façon de vivre, avait fait naître une grande inquiétude en moi, sur mon avenir, sur mes bases.
Que se passerait-il si je ne pouvais plus faire ce que je fais aujourd'hui, aussi bien financièrement qu'au niveau de ce qui nourrit mon intériorité et que resterait-il de la mission "sociétale" que je me suis fixée.
A ma manière, cette crise Covid est venue ébranler mes certitudes, remettre en question mes bases. Alors, évidemment, ce n'est pas agréable à vivre, mais, en vérité, que ce soit pour cause de Covid ou pour autres choses, n'est ce pas là le cycle de la Vie de nous inviter, ponctuellement, nos choix de vie, que ce soit pour les confirmer, pour les réorienter ou pour les modifier en profondeur.
Les conséquences du Covid peuvent fortement nous impacter, nous bouleverser probablement parce qu'elles touchent à certaines de nos bases, de nos croyances, de notre confort et que potentiellement, cette maladie peut être mortelle par co-morbidité. Du coup, elle touche des questions fondamentales, profondes, du sens de la Vie, des rapports avec les autres...

Je voulais témoigner de cette expérience pour vous montrer que, même en étant "prof de yoga", en ayant une pratique quotidienne, ect... en présentant plusieurs éléments de "bonne santé physique et mentale", je traverse des périodes difficiles ET que celles -ci me sont même nécessaires pour continuer à évoluer, à grandir, à mieux me connaître.
Néanmoins, à l'évidence mes pratiques, régulières et s'inscrivant dans sur le long terme, sont sans aucun doute une aide très précieuse, voir des guides.
Merci de m'avoir lu jusqu'au bout.